Pont-de-Loup, un printemps
Un matin de printemps comme beaucoup d'autres, je suis sur la route embrumée qui mène à l'arrêt de l'autobus. Tout est différent. Les bruits sont étouffés et semblent lointains. La route se fond dans le néant mais, au fur et à mesure que j'avance elle se déroule sous mes pas. Derrière le champs couvert de givre, trois fantômes d'arbres immobiles me regardent passer. Mais le champs, les arbres, le paysage invisible; ce ne sont plus ceux d'hier. Un impressioniste est passé. Il a retravaillé ma toile, mon décor quotidien. Je marche dans son tableau et je sens la fraicheur des gouttes de peinture sur mon visage.
 
Fantômes dans le brouillard
  Que ferais-je sans ce monde sans visage, sans questions; où être ne dure qu'un instant, où chaque instant verse dans le vide, dans l'oubli d'avoir été; sans cette onde où à la fin corps et ombre ensemble s'engloutissent?
Que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures, haletant furieux vers le secours, vers l'amour; sans ce ciel qui s'élève sur la poussière de ses lests?
Que ferais-je? Je ferais comme hier, comme aujourd'hui; regardant par mon hublot si je ne suis pas seul à errer et à virer loin de toute vie, dans un espace pantin sans voix parmi les voix, enfermées avec moi.
Samuel Beckett



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Copyright Claudio Nichele